Outreau : Thierry Delay face à ses fils, 14 ans après les viols
Ce mardi, le tribunal a entendu le père des quatre enfants victimes de viols en 2001, qui purge actuellement vingt ans de prison. Il a affirmé n'avoir jamais rencontré Daniel Legrand, rejugé à Rennes depuis le 19 mai. A la fin de l'audience, il a été pris à parti par ses fils.
Au fil des ans Thierry Delay semble se dépouiller de son corps. Il était apparu au procès de Saint-Omer, au printemps 2004, barbu, gras à lard, fermé comme une huître. Puis, un an et demi plus tard, on l'avait vu témoigner au procès en appel de Paris, aminci, souriant, habillé comme s'il partait cueillir des champignons.
Le voici en visioconférence devant la cour et les jurés des assises de mineurs d'Ille-et-Vilaine, qui rejugent Daniel Legrand, l'un des treize acquittés de l'affaire d'Outreau. Thierry Delay, 51 ans, condamné en 2004 à vingt ans de réclusion criminelle pour viols ou agressions sexuelles sur douze enfants, et proxénétisme, purge sa peine dans un centre de détention du sud de la France. Comme il est détenu depuis 2001, il pourrait déposer une demande de libération conditionnelle, mais apparemment il n'en est rien. M. Delay est en prison comme il était jadis à la Tour du Renard: depuis qu'il est né, il reste où son misérable destin le pose. Il a passé la moitié de sa vie d'homme ivre mort, il passera sans doute l'autre à moitié reclus.
Une sclérose en plaques s'est emparée de son épaisse carcasse, qui a fondu. En scrutant les traits d'un homme qui a commis les pires monstruosités, on lutte pour ne pas se laisser gagner par une compassion excessive, mais il faut bien admettre que le salopard d'Outreau est pathétique. Il attend docilement que le président Dary lance l'interrogatoire. Sa peau est jaunâtre. Une calvitie disgracieuse surmonte son front. Sa tête, perpétuellement animée d'un léger tremblement, est légèrement inclinée sur son épaule droite. Ses yeux sont éteints. De l'accusé de Saint-Omer, ne subsiste que la barbe noire.
Le président pose la question rituelle: «Connaissiez-vous l'accusé avant les faits qui lui sont reprochés?» La réponse se suffit presque à elle-même: «Non.»
Quatre adultes sont coupables
Contrairement à son ex-épouse, Myriam Badaoui, accusatrice universelle qu'il qualifie d'«un peu mythomane», Thierry Delay n'a jamais mis en cause quiconque durant l'instruction - il niait sa propre participation. A un moment, il a écrit au juge Burgaud pour affirmer que la plupart des mis en examen étaient innocents, ce qui n'a servi à rien, le juge accordant un plus grand prix aux listes de pédophiles présumés qui arrivaient par brouettes à son cabinet. A Saint-Omer, M. Delay, violé par son propre père, déclare que quatre adultes sont coupables: lui-même, sa femme, et un couple de voisins, Aurélie Grenon et David Delplanque - le quatuor définitivement condamné. Il martèle que seuls ses quatre enfants, Chérif, Dimitri, Jonathan et Dylan, sont victimes.
Le président fait venir Daniel Legrand à la barre, face à la caméra, pour que le témoin l'identifie. Il le reconnaît pour l'avoir vu à Saint-Omer puis à Paris. L'accusé se rassied.
Le président: «Qui était présent lors des viols?»
Le témoin, qui n'est pas l'ami des phrases complexes: «Personne.»
«- Myriam Badaoui?
- Oui.
- Aurélie Grenon et David Delplanque?
- Oui.
- D'autres personnes?
- Non.
- Le nom de Daniel Legrand vous dit quelque chose?
- Non.
- Son père, qui portait le même prénom, a aussi été accusé. Le connaissiez-vous?
- Non. Jamais vu.
- Êtes-vous allé commettre des faits en Belgique?
- Jamais été en Belgique.
- Mme Badaoui a mis en cause les deux Daniel Legrand et d'autres personnes...
- Elle mentait. Jamais fait de faits avec ces gens-là.
- Faisiez-vous partie d'un réseau pédocriminel?
- C'est que des mensonges.
- Ces viols, c'était des perversions sur vos enfants?
- J'ai jamais fait de films ou de cassettes. C'était des perversions sur mes enfants.
- Pourquoi?
- Je sais pas comment que ça a commencé.
- Chérif nous a fait part de “souvenirs” selon lesquels Daniel Legrand fils aurait été victime de faits, chez vous...
- Pas du tout.
- Et d'autres, selon lesquels il aurait été auteur...
- Non, c'est faux.
- Aviez-vous des relations avec un sex-shop de Boulogne?
- Oui, j'y allais trois ou quatre fois par semaine (il reconnaît la photo du gérant, qui n'est pas Daniel Legrand père, alors que Mme Badaoui le prétendait).
- On a retrouvé chez vous beaucoup de cassettes pornographiques: achetiez-vous à ce sex-shop des films pédophiles?
- J'en ai jamais eu des cassettes comme ça.
- Avez-vous filmé les actes sexuels imposés à vos enfants?
- Non. J'ai fait un film avec moi et ma femme, qu'a été saisi.
- Qui a décidé de commettre des abus sexuels sur vos enfants?
- On était tous les deux d'accord.
- Comment est-ce possible?
- L'alcool.
- A un moment, le dossier fait état du meurtre d'une petite fille.
- J'ai commis aucun meurtre. J'ai eu un non-lieu. Je sais pas pourquoi [Daniel Legrand] a menti là-dessus, je le connais pas.»
Aux questions de Me Reviron, partie civile, Thierry Delay répond qu'il est «attaché quand même» à ses enfants, même s'il leur a «fait du mal». Mais il ne leur a jamais écrit, parce que leur sort ne «(l)'intéressait plus» une fois qu'ils n'étaient plus à sa merci. Qu'il collectionnait les crânes humains - il en avait 90 - dans le dessein de «faire des catacombes» dans son HLM. L'avocat s'étonne, à juste titre, que Thierry Delay n'ait pas interjeté appel de sa condamnation pour huit enfants qu'il dit n'avoir pas touchés: «C'est faux. J'ai pas commis de faits sur eux, insiste-t-il. J'ai gardé la condamnation pour moi.»
M. Delay ne le sait pas, mais ce renoncement, assez conforme à sa personnalité, permet aujourd'hui aux révisionnistes judiciaires de l'affaire d'Outreau de soutenir que puisque douze enfants ont été reconnus victimes et que les Delay-Badaoui n'en ont que quatre, d'autres adultes sont coupables: les acquittés, mais aussi des dizaines d'adultes désignés par les enfants et jamais inquiétés par le juge Burgaud. La visioconférence avec le condamné au regard éteint est sur le point de s'achever quand Chérif, partie civile, demande à s'adresser à lui, ce qu'il n'a pas fait depuis quatorze ans. Thierry Delay lui dit: «Bonjour Chérif.» Le jeune homme: «C'est la première fois que tu m'appelles Chérif.» A l'époque, Thierry Delay, en l'adoptant, l'avait rebaptisé Kevin. Il l'appelait souvent «le bougnoule» en le cognant, ou en le violant. Chérif reprend, tendu comme un arc: «Aujourd'hui je mesure 1,82m, je pèse 71kg et je n'ai plus peur de toi. (Il montre à la caméra la paume de sa main). Cette couleur, c'est mes origines et j'en suis fier.Tu es dans mes cauchemars mais quand je te vois là, tu me fais pitié. T'es qu'une merde, c'est toi la merde aujourd'hui.» Il quitte la salle d'audience.
Jonathan, son petit frère, lui succède: «J'ai des questions à te poser. Tu confirmes qu'il n'y a pas d'autres adultes en cause? Tu as le courage de dire le contraire?»
Thierry Delay: «On n'était que quatre.
- Tu es sûr et certain?
- Oui.
- On n'était pas filmés?
- Non.
- Pourquoi avoir commis toutes ces choses?
- J'avais pas ma tête à moi. J'étais pas dans mon état normal.»
Le regard de Thierry Delay ne s'est pas illuminé ne serait-ce qu'une seconde quand il a reconnu deux de ses fils. Il ne leur a pas demandé pardon. Il n'a pas souri comme quand, tout à l'heure, il avait compris que son «c'est bien ça» avait été entendu comme «c'est Vincent», et que tout le monde se demandait qui était ce nouveau venu dans le dossier.
En réalité, Thierry Delay est mort depuis qu'il est devenu un violeur d'enfants. C'était en 1995. Le jour de Noël.